Les Tétraèdres : les 36 escales

Premier périple : Eau, air, terre et feu

  Escale n° 1 : Sabrina

   Tahiti, Moorea, Marquises (Nuku-Hiva), Hawaii. 2008.

  À croire que les mauvais spectacles devaient avoir quelque chose de septique pour que, jusqu'ici, on en joue des représentations toujours plus médiocres.

  « Et l'autre qui a passé quarante ans paumé dans le désert sans trouver sa route, tu parles d'un guide ! » éclata Mathieu dans un rire fracassant.

  Escale n° 2 : Nicolas

   Paris (France), 1407.

  « Les livres sont des choses trop précieuses pour qu'on les colporte. »

  Escale n° 3 : Catzahuatl

   Tenochtitlan, capitale de l'empire Aztèque, 1432.

  … et il l'avait laissée choir comme un fruit pourri quand il l'eut coupée …

  Pourtant même immobile, elle convergeait l'espace.

  Leur Parque était glorieuse et enviable, bien plus que celle des anonymes qui iraient errer dans le mictlan, l'enfer. Toute leur éducation, leur vie, leurs rêves avaient été tendus vers ce but.

  Escale n° 4 : Akakuhe

   Aotearoa, île du Nord, 1312.


  Escale n° 5 : Kutavai

   Nuku Hiva, vallée de Hakaui, il y a environ 900 ans.

  Et pour une nouvelle colonie, ce ne serait pas tant d'hommes dont ils auraient le plus besoin, mais de femmes et de leur ventre pour assurer la pérennité future.

  Leur révolte fut d'abord une réaction de survie, puis une vengeance sauvage, animale.

  Ses hanches, ses fesses roulaient érotiquement leurs courbes, ses petits seins libres virevoltaient leur joli galbe, ses bras reflétaient l'harmonie.

  Escale n° 6 : Tapahina

   Côte sud-péruvienne, il y a environ 900 ans.


  Escale n° 7 : Raupaniu

   Rapanui (île de Pâques), il y a environ 900 ans.

  C'était d'ailleurs assez rituel chez lui : la battre, manger, baiser, dormir.

  Escale n° 8 : Ratiavato

   Actuelle Madagascar, côte septentrionale, il y a environ 1630 ans.

  « Mon fils sera étouffé, toi tu seras empalé par où tu pèches et moi je serai donnée en pâture aux soldats qui me violeront jusqu'à queue rabattue avant de me découper en morceaux. »

  « Que pour eux la politique n'est que l'art de piller le royaume. »

  Ce plan était d'une extraordinaire audace, c'est pourquoi il avait toutes les chances de réussir.

  Escale n° 9 : Hinatea

   Nuku Hiva, vallée de Hakaui, aux alentours de l'an 120 de l'ère chrétienne.

  En revanche, ce qui était certain pour tout le monde, c'est qu'il avait semé un peu partout dans les quatre villages, jouant de son statut d'étranger génétique et de son art consommé de raconter des histoires envoûtantes.

  La foule, qui n'avait cessé de croître au fil de la matinée, était interdite, chacun persuadé que de grandes catastrophes se préparaient et que sa conscience personnelle allait être examinée de près. Peu nombreux furent ceux qui eurent le réflexe de se curer les ongles ou se tirer les poils du nez.


  Escale n° 10 : Akateani

   Samoa, île de Savai'i, aux alentours de l'an 40 de l'ère chrétienne.


  Escale n° 11 : Itxabay Anki

   Actuel Guatemala, pays Maya, il y a 2356 ans.

  Totalement nue, sa beauté éclatait aux yeux du Ciel et devait rendre fous les dieux sournois qui guettaient sa chute. Des yeux multiples observaient des berges et des frondaisons. Étrange scène d'une mortelle défiant sciemment l'ordre du monde, anabase au chaos d'une fin imminente du cycle du temps.

  Escale n° 12 : Xotxicatzal

   Danipaguatxe (Monte Albán), pays Zapotèque, il y a 2344 ans.

  « J'ai beau avoir satisfait des centaines et des centaines d'hommes, des beaux et des laids, des gros et des chétifs, des intelligents et des idiots, des sexes énormes et des haricots ridicules, aucun n'a été capable de vaincre le maléfice, le serment absurde que j'avais fait. »

Deuxième périple : Oublir, souvenir et mémoire


  Escale n° 13 : Gonoa

   Au pied de l'actuel Emi Kusi, volcan éteint dans le massif du Tibesti, il y a environ 3000 ans, quand le Sahara n'était pas encore tout à fait devenu le désert d'aujourd'hui.

  « Quand l'estomac est repu le cerveau peut s'éveiller et le cœur s'ouvrir. »

  Fallait-il qu'une juste cause passât par autant de mensonges et de reniements ? Il était trop tard pour revenir en arrière ou se flageller.


  Escale n° 14 : Zankan

   Au cœur des plateaux du centre de l'actuel Nigeria, berceau de la future civilisation Nok, quinze ans plus tard.

  Fesses incomparables à des lunes de marche à la ronde.

  Kagoro, qui observait l'échange sans mot dire, la trouvait magnifique dans son ire.

  Ainsi, les grandes roues des peuples et de l'histoire se mettaient-elles souvent en marche sur des mensonges ou des intuitions visionnaires humaines, les dieux et les forces surnaturelles n'y étaient pour rien. Les catastrophes humaines n'étaient peut-être que conséquences de la folie ou de l'entêtement de quelques-uns, qu'aucun dieu ne pouvait prévenir. Le diable pouvait loger en chaque être, surtout les chefs. Face à cela, il lui fallut atteindre la gloire en tuant des lions pour ne pas s'attaquer aux humains, découvrir les peuples étranges et étrangers pour ne pas sombrer dans l'orgueil et devenir sage, oublier Boonsyat pour la magnifier et mieux la retrouver.

  Escale n° 15 : Akavai

   Île de New Hanover, Papouasie-Nouvelle-Guinée, 2008.

  « Est-ce que ce n'est pas notre rationalité occidentale qui nous pousse à vouloir toujours voir une logique conceptuelle, une illustration de pensée religieuse, derrière une réalisation ancienne ? Une œuvre réaliste ou trouvant sa source dans un « réalisme » intellectuel ? Qui nous conduirait ensuite à échafauder des théories explicatives dont les prémisses ne seraient finalement que de simples hypothèses issues de notre propre schéma de lecture du monde et des rapports sociaux ? »

  « Vous avez le doute à fleur d'argument, le bon sens absolu. »


  Escale n° 16 : Teavai

   Île de Sulawesi (actuelle Indonésie), péninsule nord, il y a environ 3750 ans.

  C'était à tout cela que Tomatua songeait en cheminant derrière son cousin qui semblait lire les herbes et le sol comme on lit une femme en chaleur.

  Quatre ans de solitude à se forger sa vie et sa personnalité ancrés dans le marigot de son enfance.

  Serait-elle assez forte pour affronter les veules et ne pas les écraser de ses certitudes forgées dans la solitude ? Serait-elle assez humble pour ne s'attacher qu'à la souffrance des autres ?

  Escale n° 17 : Koias Malateios

   Actuelle île de Malte (Méditerranée), il y a environ 4000 ans.

  Dans sa tête, il avait conçu un ambitieux plan, certes plein de risques et d'inconnues, mais avec le temps, il en était arrivé à la conclusion que seules les manœuvres ambitieuses et déraisonnables accéléraient l'Histoire et les destins individuels.

  Escale n° 18 : Koias Geios

   Khrateia (Crète actuelle), palais de Cnossos, il y a environ 4000 ans.

  « Oui, mais un peuple est comptable de l'histoire de ses ancêtres. Un fils de roi est le peuple. »

  Escale n° 19 : Koias ta Mari

   Mari, cité antique sur l'Euphrate, Mésopotamie, il y a environ 4000 ans.

  Organiser la religion, la plus abstraite et la plus exigeante possible, permettait de manipuler à grande échelle le peuple. Au final, de façon bien plus efficace et avec des résultats nettement plus durables que si on faisait appel à la force brute.

  Et dans cent ans, mille ans, quel griot, quelle vieille femme à la mémoire millénaire éparse ferait le poids face aux tablettes d'argile religieusement stockées dans un palais royal ?

  Pendant longtemps, on avait ignoré le rôle exact des hommes dans le phénomène de la procréation, même si on savait évidemment qu'il intervenait. Mais depuis que certaines femmes à la jugeote limitée avaient livré le secret, les hommes en avaient profité pour faire valoir encore davantage leur force et leur représentation symbolique, réduisant celles-ci à la mission de simples véhicules géniteurs.

  Escale n° 20 : Koias Anaion

   Non loin du fleuve Don, dans les steppes de l'actuelle Russie méridionale, il y a environ 4000 ans.

  Le vent de la steppe gardait la mémoire bien mieux que n'importe laquelle de leurs tablettes maudites.

  « … j'abhorre les flatteurs, même si à mon âge une belle parole est toujours comme le miel dans la gorge de l'enfant. »

  Escale n° 21 : Itaka

   Aomori, nord de l'île de Honshu (Japon), 2008.


  Escale n° 22 : Agwade Key

   Rive sud de l'actuel lac Tana (hauts plateaux éthiopiens), 2500 ans avant l'ère chrétienne.

  Sans les yeux la mémoire est stérile, mais sans la mémoire les yeux ne voient que la surface des choses.

  La nature est belle et puissante. Elle est comme une femme, elle aime qu'on l'admire, qu'on la célèbre et surtout qu'on la respecte. Mais elle se montrera impitoyable envers ceux qui la violenteront ou la mépriseront.

  Escale n° 23 : Agwade Geracha

   Rive sud de l'actuel lac Tana (hauts plateaux éthiopiens), deux ans plus tard.

  « Les pierres ne sont que des cailloux, célestes certes, mais inertes et ineptes. »

  « Je préfère croire que chaque être vivant est un hasard imprévisible engendré par d'autres hasards. »

  Au-delà des mers vivent des peuples puissants et nombreux, des cités riches et prospères, des civilisations avancées et dynamiques. D'au-delà des mers viendront toujours les commerçants avides et les envahisseurs belliqueux. D'au-delà des mers d'eau et de sable.

  Escale n° 24 : Agwade Teyem

   Rive sud de l'actuel lac Tana (hauts plateaux éthiopiens), encore deux ans après.

  Un peuple rivé à ses parcelles et ses basses-cours, à l'horizon délimité à tout jamais, asservi par une pléthore de fonctionnaires organisateurs et comptables.

  Vie servile les pieds dans la vase et l'esprit embrumé par les manifestations et logiques compliquées des divinités tutélaires. Une vallée majestueuse qui enfermait ses enfants dans des horizons bornés.


  Escale n° 25 : Agwade Tekur

   Rive sud de l'actuel lac Tana (hauts plateaux éthiopiens), quelques années plus tard.

  Des hommes qui n'avaient craint ni le danger, ni l'inconnu, ni l'abîme de leurs propres sentiments.

  Étonnant paradoxe du vide qui suscite appel et curiosité, quand le plein n'engendre que nombrilisme et indifférence méprisante.

Troisième périple : Arcanes et ancêtres


  Escale n° 26 : Hina Rumi

   Taiwan, côte sud-orientale, il y a 5000 ans.

  La réalité retentissait dans toute sa disgrâce.

  Escale n° 27 : Inya

   Chine, littoral méridional, il y a 8000 ans.

  Que la nature appartenait à ce futur, non à leur temps présent.

  Ils partaient le bagage léger et sans regret, plantant là leurs géniteurs et les inquiets, le riz gluant et les porcs dégoûtants.

  Escale n° 28 : Nayan et Skayna

   Actuelle Mer Noire, littoral sud-occidental, il y a 8000 ans.

  La brèche à leur gauche, celle qu'ils avaient toujours connue comme un gentil défilé, ombragé et agréable à franchir, était maintenant une gueule furieuse par laquelle jaillissait un flot colique, une diarrhée cataclysmique. Ses lèvres étaient arrachées en étrons titanesques, qui s'en allaient s'accumuler plus bas contre l'ancien tertre du village, ultime hauteur qui serait bientôt avalée et excrétée à son tour. Cascades prodigieuses, ressauts désespérés, tourbillons monstrueux, écume épaisse comme du lait caillé, brume et vapeur d'eau comme une ligne pilonnante de grain. Et un vent nouveau, tout à la fois aspiré par le flot dévastateur et le poussant. Le total bouleversement des lois naturelles du monde, un fleuve qui vidait l'océan ! Après le déluge du ciel, la chute de la mer !

  Escale n° 29 : Omayra

   Actuelle Colombie, région du Nevado del Ruiz, il y a 8000 ans.


  Escale n° 30 : Bat-cue

   Actuel Canada, région de Calgary, il y a 12000 ans.

  Chacun observait avec ravissement leur garde-manger. Ils n'avaient plus à craindre pour l'hiver qui démarrait, le clan survivrait et ferait même bombance. Heureux moments. Ce soir à la caverne, reclus de fatigue et repus de viande fraîche, les corps et les âmes se raconteraient les caresses de la satiété et de la vie.

  Leur instinct de survie avait été le plus fort et leur avait fait aller à l'encontre de leurs réflexes normaux, se sauver en adoptant un comportement individualiste contraire à celui grégaire du groupe. « Comme certains hommes », pensa Bat-ge en établissant un parallèle avec leur histoire.

  Escale n° 31 : Verintuva

   Extrême-Orient russe. Juillet 2008.

  D'Amérique soufflaient les vents et ses métastases. De cet occident qui était ici oriental.

  Une imprimante antique entra en action, commençant à cracher lentement et inexorablement comme une vague de lave un listing tout en traits aigus et spasmes sismiques dans un bruit d'éjections.

  Son indignation était sincère et touchait à quelque chose de navrant. Seuls les gens du commun, les petits si transparents, subissaient ces atteintes, ces négations permanentes de leur droit à exister.

  Sa démarche était souple malgré les talons et ses formes lui parurent être encore fermes. Il savait être discret dans ses regards, mais son œil enregistrait et évaluait tout. Il se forçait à s'intéresser à la robe de son verre lorsqu'elle se levait et lui tournait le dos, de peur qu'elle ne sente ses prunelles sculptrices.

  Des années auparavant, non pas par calcul mais par banale empathie, il avait rendu service de l'oublier dans son rapport à un archéologue de Rostov, surpris bêtement dans le plus simple appareil et ancré dans les réalités féminines de deux fausses prostituées ukrainiennes, qui faisaient l'objet d'une surveillance étroite, impliquées dans un vaste trafic d'or provenant de pillages de kourganes et de sépultures scythes.

  Escale n° 32 : Tamaya

   Actuelle Mongolie, steppe de l'Arhangay, il y a 19500 ans. Une journée dans la vie d'une femme.

  « Tiens Tamaya, voilà ton racloir qui arrive ! » dit-elle en pouffant de rire.

  Escale n° 33 : Tameik

   Actuelle Géorgie, sud Caucase, il y a 20000 ans. La tentative ultime.

  Il était le symbole bien involontaire de leur échéance.

  Cette nuit-là fut la plus lugubre que connaîtraient jamais les Tameik de la caverne de Macuk, le sentiment inéluctable de leur crépuscule.

  Escale n° 34 : Lorik
  Pendant des générations et des générations, les esprits sensibles les plus avisés et les plus vastes s'interrogeront sur la signification profonde et la portée de ces faits, avant que la mémoire dispersée ne s'effiloche en bribes décousues et que, ici ou là, des opportunistes au cerveau manipulateur ne les travestissent et ne les recyclent en de mystificatrices abstractions, auxquelles la sédimentation et l'exégèse des siècles et des signes fixeront une patine d'apodicticité. Le cycle du virtuel était dès lors en marche. De temps à autre, quelques relents tripaux, régurgités du tréfonds d'un cortex animal et instinctif, crèveront et viendront putréfier les beaux axiomes et dogmes de la pensée. Relents que toujours les vigilants gardiens purificateurs auront tôt fait de curer ou d'aseptiser.

  Escale n° 35 : Teyas


  Escale n° 36 : Kudafay
  « Et pourtant, je ne peux pas m'empêcher de penser que nous dilapidons l'héritage que nous avons reçu, que nos ancêtres ont longtemps conservé intact, au prix de souffrances individuelles et collectives infinies. Et nous, notre égoïsme, nos fausses valeurs, notre quête indécente de modernité, nous entraînent à vitesse vertigineuse vers le gouffre. Peut-être notre espèce est-elle arrivée au bout de son chemin ? »